« La Révolution espagnole... c’est la nôtre ! »

Le 17 juillet 1936, les troupes nationalistes du général Franco se soulèvent au Maroc espagnol. C’est le début de la guerre civile. Après deux jours de violents combats, les milices ouvrières réussissent à freiner l’avancée des insurgés. A Barcelone, les combattants de la C.N.T.-F.A.I. et du P.O.U.M. (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) ont fait preuve d’un courage exemplaire souvent au prix de leur vie. Francisco Ascaso a trouvé la mort le 20 juillet dans l’attaque de la caserne d’Atarazanas. Le sursaut populaire contre la tentative de putsch est suivi immédiatement des premières réalisation sociale. En Catalogne notamment, les syndicats de la C.N.T. vont enfin pouvoir mettre en pratique leurs idées sur l’autogestion.

Le Libertaire affiche un soutien total et sans réserves aux anarchistes espagnols. L’édition du 31 juillet 1936 titre sur cinq colonnes à la Une : « La Révolution espagnole... c’est la nôtre ! ». [1] Dès le mois d’août 1936, la rubrique internationale du Libertaire, « A travers le monde » disparaît définitivement pour laisser la place aux nouvelles d’Espagne. La rédaction y multiplie les reportages en insistant sur l’attitude héroïque des miliciens de la F.A.I. Louis Lecoin subjugué par le charisme d’Ascaso et de Durruti, rend hommage à leur courage. Il rappelle aux lecteurs la campagne organisée en 1926 pour leur épargner une extradition vers l’Argentine. [2] Comme pour Sacco et Vanzetti, Le Libetaire va s’employer à célébrer l’héroïsme et le martyr des militants espagnols. L’action de Durruti sera ainsi systématiquement exaltée comme le symbole du courage de tout un peuple. A l’annonce de sa mort, il sera quasiment déifiée. [3] Cette figure va rejoindre dans la « mythologie » anarchiste celles d’autres personnalités comme Bakounine avec lequel il partage l’image du révolutionnaire professionnel.

L’hebdomadaire de l’U.A. ne se contente pas d’encourager les combattants. Il consacre également ses colonnes à l’oeuvre constructive de la C.N.T. Il s’agit de démontrer aux plus sceptiques la capacité des anarchistes à mettre leurs principes en pratique. Leur projet social qui avait pu apparaître comme une utopie est en train de se réaliser. La Catalogne et l’Aragon servent alors de vastes champs d’expérimentation des théories libertaires. Les paysans y font l’expérience de la démocratie directe et de l’exploitation collective des terres. Georges Balanski dénombrera 2 000 collectivités agraires dans les différentes provinces du territoire contrôlé par les républicains. [4] Environ trois millions de personnes vivent ainsi sous un régime plus ou moins proche du communisme libertaire, allant parfois jusqu’à l’abolition totale de l’argent. A Barcelone les syndicats réorganisent la production industrielle, les transports, les communications et les services sociaux. Le Libertaire se fait l’écho de ces réalisations et exalte l’union de la C.N.T. anarcho-syndicaliste et de l’Union Générale du Travail (U.G.T.) socialiste comme un exemple édifiant à l’usage des travailleurs français.

[1Le Libertaire, n°507, 31 juillet 1936.

[2Ibid.

[3Sur la mentalité religieuse, le culte de la personnalité et de l’organisation dans la C.N.T., voir Jean-Pierre Duteuil, « Espagne 1936, guerre ou révolution », op. cit., p. 15 et Vernon Richard, Enseignement de la révolution espagnole, Paris, U.G.E., coll. « 10/18 », 1975, rééd. Acratie, 1997, p. 183-188.

[4Georges Balkanski, « L’œuvre constructive de la révolution espagnole », Itinéraire, n°1, juin 1987, p. 30.