Le Libertaire (1917-1956) > Catalogue des articles > 12 octobre 1951

Surréalisme et anarchisme

Déclaration préalable

Surréalistes, nous n’avons cessé de vouer à la trinité : État-travail-religion une exécration qui nous a souvent amenés à nous rencontrer avec les camarades de la Fédération Anarchiste.

Ce rapprochement nous conduit aujourd’hui à nous exprimer dans Le Libertaire.

Nous nous en félicitons d’autant plus que cette collaboration nous permettra, pensons-nous, de dégager quelques unes des grandes lignes de force communes à tous les esprits révolutionnaires. Nous estimons qu’une large vision des doctrines s’impose d’urgence. Celle-ci n’est possible que si les révolutionnaires examinent ensemble tous les problèmes du socialisme dans le but, non d’y trouver une confirmation de leurs idées propres, mais d’en faire surgir une théorie susceptible de donner une impulsion nouvelle à la Révolution sociale. La libération de l’Homme ne saurait, sous peine de se nier aussitôt, être réduite au seul plan économique et politique, mais elle doit être étendue au plan éthique (assainissement définitif des rapports des hommes entre eux). Elle est liée à la prise de conscience par les masses de leurs possibilités révolutionnaires et ne peut à aucun prix mener à une société où tous les Hommes, à l’exemple de la Russie, seraient égaux en esclavage.

Irréconciliables avec le système d’oppression capitaliste, qu’il s’exprime sous la forme sournoise de la « démocratie » bourgeoise et odieusement colonialiste ou qu’il prenne l’aspect d’un régime totalitaire nazi ou stalinien, nous ne pouvons manquer d’affirmer une fois de plus notre hostilité fondamentale envers les deux blocs. Comme toute guerre impérialiste, celles qu’ils préparent pour résoudre leurs conflits et annihiler les volontés révolutionnaires n’est pas la nôtre. Seule peut en résulter une aggravation de la misère de l’ignorance et de la répression. Nous n’attendons que de l’action autonome des travailleurs l’opposition qui pourra l’empêcher et conduire à la subversion, au sens de refonte absolue, du monde actuel. Cette subversion, le surréalisme a été et reste le seul à l’entreprendre sur le terrain sensible qui lui est propre. Son développement, sa pénétration dans les esprits ont mis en évidence la faillite de toutes les formes d’expression traditionnelle et montré qu’elle étaient inadéquates à al manifestation d’une révolte consciente de l’artiste contre les conditions matérielles et morales imposées à l’homme. La lutte pour le remplacement des structures sociales et l’activité déployée par le surréalisme pour transformer les structures mentales, loin de s’exclure, sont complémentaires. Leur jonction doit hâter la venue d’un âge libéré de toute hiérarchie et toute contrainte.


Jean-Louis Bédouin, Robert Benayoun, André Breton, Roland Brudieux, Adrien Dax, Guy Doumayrou, Jacqueline Duprey-Senard, Jean-Pierre Duprey, Jean Ferry, Georges Goldfayn, Alain Lebreton, Gérard Legrand, Jehan Mayoux, Benjamin Péret, Bernard Roger, Jean Schuster, Anne Seghers, Clovis Trouille

et leurs camarades étrangers actuellement à Paris