Le Libertaire (1917-1956) > Catalogue des articles > 18 septembre 1952

Anarchistes et surréalistes

Le vrai sens d’une rencontre

Tous nous avons lu dans le n°324 du Libertaire l’article de notre amis Jean Schuster, « Le sens d’une rencontre ». Sans avoir l’intention d’ouvrir ici une polémique à ce sujet, nous essayerons simplement d’exprimer l’opinion d’un groupe de militants qui n’engage en aucune façon la Fédération anarchiste.

Il s’agit de la rencontre entre anarchistes et surréalistes.

Nous ne pensons pas qu’il serait faut ou prétentieux d’affirmer que cette rencontre dure, malgré tous les aspects que les deux mouvements ont pris, depuis la naissance des deux idées. Celle des hommes est vieille de dix mois. Précision : la rencontre des responsables, celles des militants ne s’est pas encore faite.

En effet, combien de fois, les militants nous ont posé la question : « Le surréalisme, qu’est que c’est ? » et nous essayons de répondre, mal peut-être, en tous cas en pensant que c’était aux surréalistes de le faire et de le faire d’une façon simple et accessible à tous. Nous pensons avec Reclus que la vulgarisation n’est pas nécessairement la vulgarité. On ne saurait dire tout le mal qu’à fait l’hermétisme dans l’art contemporain, en lui faisant souvent perdre le sens du vrai, de l’authentique, en devenant un art « intellectuel » et formel, une recherche de l’originalité pour l’originalité. Et pourtant, il nous semble possible de surmonter cette maladie de l’art contemporain, si les artistes prennent conscience des nécessités révolutionnaires, s’ils parviennent à s’échapper des tendances d’extrêmes subjectivisme et à exprimer les sentiments et les idées révolutionnaires des masses populaires. Il a raison Jean Schuster qui dit : « La fin ultime que s’assignent surréalistes et anarchistes est commune : restitution intégrale des pouvoirs dont l’homme a été spolié, tant par les puissances économiques et politiques. » Seulement cette phrase est tellement vague que pas mal de « révolutionnaires » pourraient la revendiquer... D’autre part, les surréalistes nous disent que leur révolte est totale. Mais ils semblent oublier que l’anarchisme, dépassant le stade de la révolte, lutte pour une Révolution totale et que l’on ne peut considérer les anarchistes comme les « éléments spécialisés » n’opèrant que sur le plan politico-économique. L’anarchisme est bien un tout, mais il n’est pas pour autant dans l’intention des anarchistes d’imposer une révolution uniforme dans le domaine intellectuel, sensible et moral. Les anarchistes, s’ils ont un but précis sur le plan politique et économique n’ont pas sur d’autres plans la prétention de diriger les esprits vers une expression artistique plutôt qu’une autre. Qu’on nous comprenne bien : nous n’avons jamais douté de la sincérité de nos camarades surréalistes et nous n’avons jamais eu le moindre soupçon de « noyautage » quelconque. Mais nous sommes obligés de constater qu’il se crée une impression - qui d’ailleurs n’est pas due à l’attitude des surréalistes - que le surréalisme est en quelque sorte l’art officiel anarchiste - ce qui est une absurdité en soi. Nous sommes pourtant persuadés que la rencontre avec les surréalistes peut découvrir des horizons nouveaux pour les militants anarchistes sur le plan intellectuel et artistique. D’autre part, en ce qui concerne les surréalistes, nous ne voulons pas analyser ici la question épineuse de l’engagement de l’artiste mais, si nous sommes prêts à croire que l’artiste s’engage d’abord envers l’art, nous pensons néanmoins que en tant qu’homme il s’engage en des moments déterminés et pour des causes déterminées avec d’autres hommes, que l’artiste qui se passionne pour une révolution, qui y prend part même ne se différencie aucunement en cela de son voisin, ouvrier, paysan, artisan, ingénieur ou professeur. Nous croyons que pour qu’une rencontre apporte quelque chose de concret à la Révolution, pour dépasser même le stade de la rencontre, il est nécessaire d’accepter non seulement intellectuellement les « aspirations » générales de l’idéologie anarchiste, mais également les méthodes d’action coordonnée du mouvement révolutionnaire qu’est la Fédération anarchiste comme le font chaque jour de nombreux sympathisants. Il est inutile de confirmer la sympathie des militants anarchistes pour nos camarades surréalistes et tout ce que nous venons de dire l’a été à seule fin d’apporter notre point de vue pour rendre plus étroite et fructueuse notre collaboration. Nous n’avons pas la prétention d’avoir fait une analyse parfaite de la question. Comme disait Antonin Artaud : « Je ne suis pas André Breton et je ne suis pas allé à Baltimore, mais c’est ce que j’ai vu sur les bords de l’Hudson... »


Un groupe de militants