Le mouvement libertaire devant l’immense crime qu’est la guerre, s’incline avec émotion devant les victimes de ce fléau mondial qu’il n’a pas su éviter.
Prolétaires de tous pays et de toutes couleurs assassinés pour n’avoir pas voulu trahir leur idéal de Justice et de Fraternité qu’est le socialisme international.
Prisonniers, physiquement et moralement déprimés, languissants derrière les barbelés des oflags et des stalags.
Militants ouvriers martyrisés dans les bagnes de Vichy, Berlin, Tokyo, Rome ou d’ailleurs.
Prolétaires d’Europe déportés dans les usines de guerre du monstre nazi, et vous milliers de soldats tombés sur les champs de bataille d’Europe, d’Afrique ou d’Asie.
Nous saluons avec respect et admiration tous ceux qui luttent sous le joug des dictatures infâmes et particulièrement, tous les courageux prolétaires français qui malgré les menaces et les dangers, continuent le combat par tous les moyens en leur pouvoir, pour que le grand mot de Liberté soit demain plus vivant et plus réel que jamais.
Militants de toutes écoles du mouvement socialiste, militants du mouvement syndical, à tous et partout, par delà les frontières, en deçà des camps d’internement et des bagnes, nous vous crions, Espoir !
Espoir ! Il faut tenir jusqu’au bout, votre salut en dépend.
Espoir ! Si vous gardez votre confiance en notre idéal de paix, de liberté et d’égalité qui nous a animé jusqu’ici.
Au moment où le mouvement libertaire s’adresse au prolétariat français, il tient à réaffirmer son attachement à l’internationalisme prolétarien et sa conviction toujours inébranlable que la dictature et le fascisme issus de l’écroulement et du déséquilibre de l’économie capitaliste, restent des ennemis directs de toute société ayant pour base le respect de la personnalité humaine.
Il profite de cette affirmation pour définir sa position actuelle face aux nécessités que la situation présente rend de plus en plus nécessaire.
Le mouvement libertaire de par sa philosophie et ses principes sort grandi par la dure expérience qu’il vient de subir.
Rien dans le développement du conflit actuel qui n’ait été perçu et dénoncé au bon moment, malgré « l’esprit pacifiste bêlant » qui volontairement ou involontairement entrava l’action révolutionnaire de nos diverses organisations.
Mouvement de libération totale et de révolution sociale, le mouvement libertaire reste comme dans le passé à l’avant-garde du socialisme.
Hier comme aujourd’hui et comme demain, il reste le mouvement de lutte du prolétariat pour son ascension à la question économique et sociale du monde.
Mouvement antifasciste et révolutionnaire, il reste fermement attaché à ce qui a fait la grandeur du socialisme d’hier, l’internationalisme.
Il pense que c’est ce principe qui demain devra primer dans toutes les dispositions à prendre pour redonner au monde sa physionomie nouvelle.
Il n’est pas un mouvement tendant à la prise du pouvoir pour y faire prévaloir des droits particuliers, mais une école et un laboratoire d’où sortiront les individus capables dans leurs branches et de par leurs aptitudes techniques, administratives et sociales, à gérer et administrer la société de demain.
Il est avant tout un mouvement attaché à faire prévaloir partout et en toutes occasions les droits inaliénables du peuple.
Pour nous, le paysan, l’ouvrier, le fonctionnaire, le technicien, restent les éléments vivants et actifs de la société socialiste-libertaire, unis dans la lutte comme ils resteront unis dans la jouissance des bienfaits de cette société.
Pour l’immédiat, le mouvement libertaire constate que l’opinion publique dans sa presque totalité, appelle de ses vœux l’institution d’organismes qui assurent à tous la sécurité économique et sociale dans le cadre du mouvement de libération de l’oppresseur fasciste.
Sécurité économique qui assure par une prise en gestion par les organismes de production et de consommation (syndicats, centres de distribution, centres économiques), une répartition et un contrôle équitable des produits de première nécessité.
Sécurité sociale par une large amnistie pour les prisonniers des bagnes et des camps de concentration, des prisons militaires ou civiles, par l’institution d’un vaste comité de sécurité auquel participent toutes les organisations ayant subi le joug des dictatures vichyssoise, hitlérienne ou autres.
Sécurité sociale et économique par un contrôle immédiat des banques, assurances et autres organismes de crédits ; Contrôle des industries lourdes et de production d’énergie et de transports.
Contrôle qui devrait être assuré par la participation effective des travailleurs et des consommateurs à la gestion de ces entreprises ou de ces organismes.
Le mouvement libertaire, comme toutes les organisations ou tous les mouvements ayant participé à la vie sociale et politique des années d’avant la « drôle de guerre », s’engage à ne pas permettre à ceux de ses membres qui aujourd’hui sont encore au service de gouvernements totalitaires de Berlin, de Vichy ou d’ailleurs de se recommander de lui.
Il tient à dénoncer l’attitude néfaste et criminelle de ceux qui, libertaires ou syndicalistes - laissant le soin aux autres tendances du mouvement socialiste de se déterminer sur ce point - ont accepté de participer dans un but de propagande et d’action, au renforcement de l’autorité de l’État Français, accepté des postes dans les organismes gouvermentaux ou extra-gouvernementaux, accepté la dissolution de la C.G.T. et des organisations prolétariennes, accepté la Charte du Travail et toute la législation rétrograde de Vichy (réforme de l’enseignement, etc.), et tous ceux qui ayant trahi la cause prolétarienne et socialiste ont directement aidé les puissances totalitaires dans l’asservissement du peuple ; aide qui s’est traduite par :
Une propagande d’acceptation par le peuple, et en particulier par le prolétariat et ses organisations respectives de l’occupation du territoire, propagande tendant à démontrer que l’occupant était épris lui aussi de sentiments de Liberté et de Fraternité.
Par une mise en œuvre de divers mouvements d’opinion, telle la « Collaboration ».
Par la naissance et le développement de mouvements à la solde de l’occupant (R.N.P., P.O.P.F., C.O.S.I., C.S.P., F.S.T.).
Par le renforcement de partis à tendances totalitaires d’avant-guerre (PPF, Francistes, Ligue Française).
Par l’acceptation de l’idée de la « Relève » prémisse de la déportation en masse pour les besoins militaires de l’impérialisme allemand, permettant ainsi une prolongation de la guerre.
Donc, nécessité dans l’immédiat de procéder à l’épuration de la « peste brune » et ses amis des postes de gestion et d’administration des organismes prolétariens, en particulier des syndicats.
Même mesure de sécurité prolétarienne, en créant un organisme chargé d’étudier les cas de ceux qui ont eu à subir les violences et les dénonciations de la part des militants passés aux côtés de la réaction étatiste, fasciste et policière.
Le Mouvement Libertaire estime donc que le premier devoir du vaste mouvement populaire de libération sera de rétablir les libertés traditionnelles du peuple.
Pour cela, il est indispensable de remettre le sort de celui-ci entre ses mains, il façonnera et déterminera le régime qu’il entend se donner, réalisant ainsi la vieille formule toujours vivace au cœur des prolétaires : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».
Le mouvement ne se fera pas l’adversaire des divers courants prolétariens qui, au côté des organisations syndicales et des mouvements de résistance tendront de parer et de prévoir aux nécessités immédiates de tous ordres, économiques et sociales.
Pour cela, tous les mouvements devront s’orienter vers la constitution d’un véritable « Comité de sécurité générale » ayant des sous-sections, Comité de sécurité sociale, Comité de sécurité administrative, Comité de sécurité économique.
Quoique provisoire, les dispositions qui pourraient être prises devraient être fermes et d’application immédiate, comme :
— Suppression du profit
— Remise en marche de l’économie
— Ébauche d’une Charte de la Paix qui poserait l’orientation que le pays entend voir appliquer pour qu’enfin les conditions économiques du monde ne soient plus à même d’engendrer un nouveau conflit.
Le mouvement libertaire pense que c’est de l’orientation que le peuple choisira dès la fin des hostilités, que dépendra son avenir, tant dans l’ordre économique et social, national et international.
Ordre économique et social
Il est indiscutable que demain ce sera l’état dans lequel se trouvera chaque pays qui déterminera et forcera les peuples à choisir et à s’orienter vers des solutions radicales dans l’ordre économique et social.
Il faut que l’on sache que demain il ne pourrait y avoir place pour les oligarchies économiques et financières qui, jusqu’ici, ont écrasé de leurs puissances les peuples travailleurs à qui ils devaient toutes leurs richesses.
C’est vers cet ordre révolutionnaire que demain nous entendons orienter autant que nous pourrons les masses travailleuses.
C’est parce que nous poursuivons ce but final, l’abolition de la condition prolétarienne avec son boulet, l’exploitation de l’homme par l’homme, que nous lançons dès aujourd’hui les jalons d’une véritable révolution sociale et d’un véritable « ordre nouveau ».
C’est pourquoi dans l’ordre économique nous voulons :
Qu’aux trusts et monopoles privés soit substitué un vaste réseau de services sociaux (industries, crédits, alimentation, transports).
Nous luttons pour qu’une fois pour toutes, l’on dote le pays d’une véritable Charte économique réalisant en cela le programme fédéraliste de la gestion directe des entreprises par les producteurs.
Tous, ouvriers, techniciens et employés, paysans, chacun suivant sa valeur, mais tous ayant le même droit de gestion, de contrôle et de décision.
Pour un vaste mouvement d’équipement professionnel, pour une réforme de l’enseignement général et professionnel, mettant ainsi entre les mains des jeunes qui auront pâti de la guerre et de ces effets les possibilités d’atteindre dans la société nouvelle une vie digne d’hommes libres.
Ce sera là le devoir d’un mouvement syndical que nous voulons indépendant et à qui l’on devra reconnaître - comme élément moteur - le droit de gestion aussi bien dans l’ordre économique que social ; car rien dans la civilisation moderne ne peut séparer ces deux éléments qui se complètent l’un et l’autre.
Ennemi du bureaucratisme et de ses déviations étatistes et paternalistes, nous lutterons pour l’application d’un vaste programme d’organisation administrative, sociale et économique ayant pour base le respect de la volonté populaire.
Nous pensons que le fédéralisme reste la véritable forme d’avenir d’une gestion stable et équitable de notre pays de l’Europe et du Monde.
La seule façon d’aboutir à un véritable équilibre social et économique résidera en premier lieu à la suppression du profit, disposition qui selon nous, ne peut être appliquée qu’internationalement.
Problèmes de l’après guerre
Mettant en avant ses principes internationaux le mouvement libertaire entend définir dans l’immédiat sa position face au problème de la Paix, nous nous opposerons par tous nos moyens à ce que, reprenant en cela toutes les vieilles formules cocardières et nationalistes, à ce que la Paix de demain soit une vengeance et une revanche des fautes impardonnables que les « alliés » et leur diplomatie ont commis de 1919 à 1934 envers le peuple allemand. Cela ne nous fait pas perdre de vue, que tous les prolétaires à quelque pays qu’ils appartiennent, ont par leur passivité permis la préparation de la guerre.
Nous serions demain contre une Paix qui ferait payer le prix de la guerre au peuple allemand, opprimé et englué dans le bourbier nazi.
Qu’il nous soit permis de dire aux prolétaires allemands qu’on ne peut atteindre et construire le socialisme en consacrant toute son activité économique et sociale à préparer la guerre.
On ne poursuit pas des buts socialistes en allant combattre contre un peuple cherchant son indépendance politique et économique, en assassinant des femmes, des enfants, des vieillards, comme le firent ceux qui aidèrent impunément le bourreau de nos « frères » d’Espagne.
Si Hitler a par sa nouvelle économie résorbé le chômage en fabriquant des canons, aujourd’hui, il fait supprimer physiquement nombre de chômeurs, est-ce en cela que le peuple allemand espère ?
Nous attendons la réponse qui se doit. Après ces quelques remarques au peuple allemand, nous voudrions bien qu’en France, en Angleterre et ailleurs l’on nous comprenne. Nous voudrions que l’on se rappelle les fautes d’un traité comme celui de Versailles et que partant de cela, on ne le réédite en plus mal.
Si demain vous vouliez faire la Paix en Europe sans l’organiser et en laissant à chaque pays le soin de prendre les mesures qui lui conviennent, si faisant cela, vous teniez les peuples y compris les peuples allemand et italien en dehors des vastes problèmes que la paix posera, vous iriez vers de graves déboires dans le cadre de votre politique internationale.
Demain la paix doit poser un principe sans lequel rien de stable ne peut être construit : Le droit des peuples à l’organisation et à la gestion des richesses de l’Europe et du Monde.
Pour nous le véritable socialisme c’est cela. Et nous dénoncerons dès aujourd’hui, l’idée d’un partage de l’Europe entre deux ou trois grands impérialismes.
Ce n’est pas en rayant un pays de la carte du monde que l’on fait l’unité politique, sociale et économique de ce monde, mais au contraire, en faisant participer ce peuple avec toutes les prérogatives et les sacrifices que cela réclame, que l’on pourra demain affirmer que le socialisme se construit. Car si le socialisme est la liberté, c’est aussi la solidarité dans l’effort commun. Nous savons qu’il existe ici comme dans tous les pays sous l’occupation des comités de Résistance assez actifs, qui par leur presse tentent de délimiter la portée sociale de leur activité, aussi est-ce pour cela qu’il nous incombe comme un devoir d’indiquer vers quelle solution nous tendrons nous, pour diriger l’action populaire.
Nous savons que tout ce que nous avons dit là n’est possible que si les peuples sont assez clairvoyants pour ne pas se laisser souffler l’initiative de l’action, pour cela il faut promouvoir ; aussi est-ce dans ce simple but que nous lançons ce message.
A l’usine, au chantier, au bureau, au champ, dans vos organisations syndicales, préparez-vous à l’action. La liberté ne se donne pas, elle s’acquiert !