Manifeste de Lyon (1948)

Perspectives et tâches

L’année qui vient de s’écouler n’a pas fait disparaître la menace d’une guerre imminente entre les impérialistes des deux blocs. La lutte sanglante est ouverte entre le colosse russe et le colosse américain en Grèce, en Chine, en Malaisie. En ce sens, on peut dire que la Troisième Guerre mondiale est commencée.

La construction de l’Europe sur les bases du système capitaliste d’exploitation a fait faillite. Le plan Marshall, qui tendait à soutenir cette économie en Europe occidentale pour des raisons stratégiques et de profit, se heurte à l’opposition violente du parti stalinien. Le Kominform trompe les revendications légitimes des ouvriers en trahissant leurs grèves et en les utilisant en vue des buts d’expansion de l’impérialisme russe. La Russie a poursuivie son avance en Europe avec le putsch tchecoslovaque, mais l’affaire yougoslave laisse supposer une faiblesse interne de la cohésion du système stalinien.

En France, l’insuffisance chronique du matériel industriel et de la production, la chute de la monnaie, la misère et les duperies idéologiques des politiciens et ministres ont créé un état d’instabilité gouvernementale permanente qui fraye le chemin au fascisme de De Gaulle. Le parti stalinien, plongé dans l’opposition sur les ordres de Moscou, cherche à profiter de cet état de choses pour appuyer sa démagogie.

Entre le fascisme de droite et le fascisme du Kremlin, les partis bourgeois intermédiaires perdent de l’influence et traversent des crises (S.F.I.O., M.R.P.). Ils cherchent à survivre en matraquant les travailleurs. La démocratie pourrie a fait faillite et les totalitarismes lèvent la tête.

Il s’affirme donc qu’il n’y a pas de paix impérialiste, pas de bien-être capitaliste, pas de solution étatique en dehors de l’esclavage, pas de démocratie bourgeoise capable de s’élargir ou de survivre, pas de parti politique qui ne soit tromperie et exploitation de la misère générale.

La seule solution efficace est donc le rejet de l’Etat, des partis, de la démocratie frelatée, du capitalisme, de l’exploitation. Elle est dans la lutte contre ces idoles que mènent les anarchistes en vue d’inciter les travailleurs à prendre en main les moyens de production, les peuples à s’organiser sur les bases libres et fédérés.

Dans l’immédiat, il est donc plus que jamais nécessaire que les anarchistes du monde entier apparaissent, s’organisent et se lient. C’est pourquoi, sur le plan international, le présent congrès a entendu réaffirmer la nécessité des liaisons avec les organisations et camarades anarchistes étrangers, en même temps que, sur le plan intérieur, il entend continuer les efforts de la Fédération pour apparaître, dans la lutte sociale contre la guerre, le militarisme, l’étatisme, le nationalisme, le colonialisme, la misère, la duperie politique et la prolifération des nouvelles hierarchies du travail, des syndicats, des partis et de l’Etat.

Cette lutte incessante n’est pas seulement celle de la Fédération en tant qu’organisation nationale, mais aussi et surtout celle des groupes sur le plan local et celle des individus sur leur lieu de travail, dans leurs organisations culturelles et sociales (syndicats, coopératives, communautés, organisations de jeunesse, etc.). C’est pourquoi le critère de la présence et de l’activité des anarchistes dans ces organisations doit être que ces conditions concrètes leur permettant d’y oeuvrer utiliment, librement et de façon constructive en faveur de leurs idées.

Cette tâche les amène nécessairement à y entrer en conflit avec les tentatives politiques de noyautage, les tentatives étatiques de pénétration. Là comme ailleurs, les moyens et buts sont libertaires et tendent à l’affranchissement de l’homme.

Il faut donc être présent...

... pour pouvoir travailler utilement. Cette présence est, dans les villes, celle de grèves où les anarchistes doivent lutter avec les exploités en les aidant à dépasser des revendications qui ne compromettent pas réellement l’état des choses actuel et servent souvent les buts politiques des grandes centrales syndicales. Elle est aussi dans les campagnes, où les travailleurs ruraux doivent apprendre à s’unir pour conquérir de meilleures conditions de travail et d’existence.

En définitive, le congrès appelle les militants à lutter plus activement que jamais, et tous ceux que frappent la guerre, la misère et l’exploitation, à se joindre aux luttes de la F.A. Aujourd’hui, c’est l’homme lui-même qu’il s’agit de sauver.

Texte adopté par les délégués du IVème congrès national de la F.A. réunis à Lyon du 11 au 14 novembre 1948.