La liberté d’expression a un prix et les anarchistes sont bien placés pour le savoir. « Depuis l’avènement du Front populaire, Le Libertaire détient le record des saisies et des poursuites ». [1] En effet, la justice française ne manque pas une occasion de condamner les responsables de la publication ou les rédacteurs. Si la violence de la répression paraît disproportionnée par rapport aux attaques du journal, il faut bien admettre que celui-ci commente l’actualité dans un style très polémique qui n’est pas fait pour inciter à l’indulgence.
Le 16 mars 1937, pour empêcher la tenue d’une réunion du Parti social français du colonel De La Rocque à Clichy, une contre-manifestation est organisée. L’affrontement avec les forces de l’ordre fait sept morts et trois cents blessés. L’édition spéciale du Libertaire datée du dimanche 21 mars est saisie. Le gérant Jean Girardin est inculpé pour provocations directes à la violence. La justice souligne la conclusion d’un article intitulé « La provocation continue » : « par tous les moyens appropriés, il faut fermer la gueule à nos chiens fascistes ». [2]
En septembre 1937, deux attentats détruisent partiellement les locaux de la Confédération générale du patronat français et de l’Union des industries mécaniques. L’enquête s’oriente en direction des organisations d’extrême-gauche. Cette fois, la police accompagne la saisie du Libertaire d’une centaine de perquisitions chez les militants anarchistes à Paris et en province. Le gérant André Granier fait l’objet de poursuites pour provocation au meurtre. Le numéro saisi portait à côté du titre : « Quand les anarchistes commettent des attentats, ils ne s’en prennent pas aux pierres... mais aux responsables ! ». [3]
Malgré la détermination des militants, Le Lib supporte difficilement la répression. Depuis le 22 juin 1939, l’hebdomadaire ne paraît plus que sur quatre pages. L’administration se plaint de l’acharnement de la justice. Au cours de l’été 1939, Le Libertaire a été saisi à quatre reprises. Les dépositaires ont reçu la visite d’agents de police qui leur conseillent de cesser de diffuser le journal sous peine de représailles.
Le dernier numéro du Libertaire paraît le 31 août 1939, à la veille de l’invasion de la Pologne [4]. La rédaction annonce à ses lecteurs le retour de la censure, précaution inutile puisque de nombreux passages ont été supprimés et laissés en blanc. Sur les deux pages que compte le journal, seules subsistent quelques attaques contre les communistes. Exceptionnellement, la profession de foi anarchiste qui figure à côté du titre a été remplacée par un extrait de La Guerre de Troie n’aura pas lieu. La pièce de théâtre est en effet d’une brûlante actualité et son auteur vient d’être promu au poste de commissaire général à l’Information. Mais, l’astuce n’a pas échappé aux autorités et même cette citation de Jean Giraudoux est censurée ! Malgré les difficultés, la rédaction affirme sa volonté de poursuivre la publication contre vents et marées. L’éditorial consacré à ce sujet s’intitule crânement : « Le Libertaire continue ! ».