La Révolution soviétique dans le contexte de la Première Guerre mondiale pouvait apparaître aux yeux de bon nombre d’anarchistes comme la réalisation de leurs rêves les plus fous. Les bolcheviques n’avaient-ils pas chassé le tyran, conclu la paix et commencé une révolution sociale ? Les moyens d’informations permettant de juger de la réalité de ce mythe étant des plus limités, il faudra attendre au moins l’armistice pour que parviennent les premiers renseignements fiables.
Si quelques uns des syndicalistes envoyés sur place reviennent largement désabusés du paradis soviétique, leurs critiques ne rencontrent qu’un faible écho comparé à la popularité dont jouissent alors les bolcheviks dans les milieux révolutionnaires. D’autant que l’intervention des troupes en Russie les pousse à taire leurs doutes. Malgré l’épuration politique qui frappe les anarchistes russes, il faudra donc attendre la fin de l’année 1920 pour que s’élèvent les premières véritables protestations. Elles précèdent de peu l’écrasement par l’Armée Rouge d’une révolution ukrainienne d’inspiration libertaire et de la commune insurrectionnelle de Cronstadt.
Dans le mouvement anarchiste français, la Révolution russe a provoqué une onde de choc qui aboutit à une complète réorganisation. Elle oblige les libertaires à réaffirmer leurs positions théoriques, en se distinguant de leurs adversaires marxistes, mais les condamne en pratique à l’isolement. Lorsque seront dissipées toutes les illusions à l’égard de la Révolution russe, Le Libertaire tentera de devenir l’organe de l’opposition révolutionnaire au P.C.F. En attendant, la rivalité entre l’Union anarchiste et le Parti communiste français va s’exercer surtout dans le mouvement syndical, au sein de la jeune Confédération générale du travail unifiée (C.G.T.U.).